Dans une interview à Ouest France le 29 mars dernier, le sociologue et écrivain Frédéric Lenoir déclarait “Le mot “crise” en chinois est représenté par deux idéogrammes qui signifient danger et opportunité. Il y a toujours dans une crise la possibilité de changer, de s’ouvrir à autre chose, d’en comprendre les causes et d’essayer d’en tirer les conséquences. Elle peut être une prise de conscience qui nous permet de vivre autrement, tant au niveau individuel que collectif.”
Danger et opportunité, changer, s’ouvrir à autre chose, en tirer les conséquences… Sur le plan collectif, cette crise, parce qu’elle est une leçon d’humilité, nous conduira sans doute à nous poser des questions sur notre place et notre rapport au monde, et sur ce que nous souhaitons réellement pour demain. Du moins pouvons-nous l’espérer.
Sur le plan individuel, comment considérer comme une opportunité un événement qui génère angoisse, stress, séparation, privation de libertés ou détresse économique?
Partout nous entendons parler du “retour sur soi”, faire le point, aller à l’essentiel, méditer, écouter sa voix intérieure… Ne nous leurrons pas, pouvoir se poser des questions et prendre le temps de l’introspection est un privilège que n’ont pas ceux pour qui la crise signifie plus de contraintes ou de précarité. Des parents obligés de télétravailler et de maintenir la continuité pédagogique pour plusieurs enfants, des employés de grandes surfaces ou des soignants n’auront que pas, ou peu au mieux, le luxe du silence et de la réflexion.
Et pour tous les autres non plus ce “retour sur soi”, qui semble s’ajouter à la longue liste des injonctions “pour notre bien”, n’est pas forcément une évidence. Est-ce vraiment si simple de descendre en soi quand les émotions nous submergent, quand nous n’avons jamais appris à nous écouter et quand le monde autour de nous, malgré l’arrivée du printemps, est plus générateur d’angoisses et de frustrations que de joie bucolique? Comment établir le contact avec des désirs et des besoins que notre vie quotidienne nous a appris à oublier?
Mais que nous en ayons la possibilité ou pas, que nous y soyons aguerris ou pas, la période, parce qu’elle est inédite, qu’elle engendre des changements aussi radicaux que rapides et qu’elle nous confronte à notre vulnérabilité, nous renvoie forcément à nous-même.
Du coup, peut-être notre opportunité est-elle là. Lorsque l’on est déstabilisé, que l’on sort de sa zone de confort, de ses habitudes, c’est rarement confortable mais ça peut, par contre, être l’occasion de prendre un peu de recul. Sans parler d’introspection, de questions existentielles ou de choix de vie radicalement différents, peut-être s’agit-il simplement pour nous de profiter du moment pour apprendre de ce que nous vivons au quotidien, pour nous poser des questions et pour réfléchir à ce que nous ferons de tout ça après. Après tout, si ce temps inédit nous demande des efforts, comment pourrions-nous en tirer quelque chose de positif? Qu’est-ce qu’à la fin, moi, j’aurai envie de garder de ce qui s’est passé? Est-ce que j’aurai appris quelque chose (et là je ne parle pas d’apprendre une langue ou de faire une formation parce que clairement, ma capacité de concentration et moi, nous ne sommes pas du tout au rendez-vous!)?
Bonne nouvelle, nous apprenons constamment que nous nous en rendions compte ou non. C’est notre capacité d’apprentissage qui fait que lorsque nous nous brûlons sur une plaque électrique nous y réfléchissons à deux fois avant d’y remettre la main. Nous apprendrons donc forcément de cette crise… Nous apprendrons toutefois un peu plus si nous profitons de ce bouleversement pour nous écouter, pour faire le point, pour penser à ce que l’on veut pour soi maintenant mais aussi, peut-être, à ce que l’on ne veut plus pour “après”.
En parlant avec mon entourage, en travaillant avec mes clients mais aussi en m’observant, j’ai tenté de déterminer quels pourraient être les grands apprentissages de notre confinement réutilisables dans l’”après” (liste non exhaustive et non contractuelle)…
Accepter ce qui nous arrive a.k.a. le lâcher prise
Accepter ce qui nous arrive. Cela parait évident dit comme ça mais nous nous battons souvent contre la réalité. Et en résistant, nous souffrons deux fois plus. Nous souffrons de ce qui se passe et nous souffrons de notre incapacité à faire changer la situation ce qui génère stress et angoisse. Alors certes, lorsque la réalité est difficile, il est loin d’être évident de l’accepter (et s’entendre dire qu’on devrait le faire a souvent quelque chose de tout à fait révoltant). Tristesse, colère et peur sont normales et utiles dans ce genre de cas (là je vous renvoie à l’épisode 2). Accepter les situations ce n’est pas ne rien ressentir, subir ou attendre sans bouger mais plutôt discerner les choses sur lesquelles nous avons une prise et sur lesquelles nous pouvons agir, de celles qui sont en dehors de notre contrôle. Cela peut sembler paradoxal mais accepter la réalité nous permet d’être moins angoissé.
Par ailleurs, le changement nous renvoie à l’incertitude du lendemain et à notre peur de l’inconnu. Il nous met dans une position d’insécurité et de vulnérabilité. Pas étonnant que la plupart d’entre nous ait du mal avec lui! Mais si nous arrivons à le regarder comme une opportunité, cela nous apporte une souplesse qui nous permet d’accompagner le mouvement et de nous adapter. Et accompagner le mouvement, c’est toujours moins douloureux que d’essayer se battre contre un mur…
Nous découvrir un peu plus
Nous vivons dans des sociétés où ce que nous sommes se confond souvent avec ce que nous faisons ou ce que nous avons. Notre statut social, nos possessions nous définissent (demandez à quelqu’un de se présenter, il y de fortes chances pour qu’il commence par son métier…). Or la période a mis un coup d’arrêt à la fois à nos habitudes de consommation, à notre vie sociale voire même, pour beaucoup, à notre travail. Du coup qui suis-je quand je ne suis plus en mesure de travailler, de sortir ou de consommer? Qui suis-je quand je ne suis plus ce que je fais ou ce que j’ai? Parce que nous ne nous la posons pour ainsi dire jamais, la question est vertigineuse… Se retrouver face à soi-même n’est pas chose facile et nous n’y sommes ni formés ni encouragés.
Pour s’en rendre compte, il suffit d’observer les média qui nous abreuvent de mille et une recettes pour occuper notre temps et continuer à agir, nous maintenant ainsi dans une logique de productivité. Comme si ne rien faire, ne pas être productif, c’était prendre le risque d’être perçu négativement… De là à nous en sentir coupable, il n’y a qu’un pas!
Pourtant tout ce que nous risquons à plonger en nous-même, c’est de nous connaitre un peu plus, d’identifier ce dont nous avons vraiment besoin et, au final, d’apprendre à être mieux avec nous-même. Passé ce moment inconfortable où nous ne savons pas vraiment quoi faire de nous, et si nous acceptons le vide plutôt que de nous battre contre l’angoisse qu’il génère, nous pourrions peut-être découvrir que, finalement, ce n’est pas d’un énième vêtement dont nous avons vraiment besoin quand la semaine a été difficile au boulot mais plutôt d’un moment de calme pour nous retrouver ou d’un moment de communication et de partage avec une personne qui nous est proche. Et en y pensant un peu plus longuement peut-être même en conclurons-nous que si nos semaines de travail nous donnent le besoin de compenser systématiquement, c’est peut-être que, finalement, il ne nous convient pas si bien que ça ce job…
Distinguer ce qui est essentiel pour nous
Nous pensons tous avoir une bonne idée de nos besoins et de ce que nous considérons comme essentiel. Toutefois, la crise que nous traversons nous oblige à changer nos habitudes. La fermeture des magasins, des lieux de divertissement, l’arrêt de notre vie sociale nous poussent à chercher d’autres stratégies pour répondre à nos besoins, voir à les remettre en question. Quand les dérivatifs habituels n’existent plus, de quoi avons-nous réellement envie? Qu’est-ce qui est important? Qu’est-ce qui me fait vraiment plaisir? Qu’est-ce que j’ai mis de côté? Comment je prends soin de moi? Qu’est-ce que je garde de ma “vie d’avant” et qu’est-ce que j’abandonne une fois que nous serons revenus à la “normale”?
Les réponses à ces questions seront différentes pour chacun. Nous pourrons nous rendre compte en télétravaillant que nous avons besoin d’un meilleur équilibre entre vie pro et vie perso, que nous avons envie prendre plus de temps pour nos enfants ou simplement pour nous-même. Peut-être aussi que nous aurons appris que nous sommes libre de faire mais aussi libre de ne pas tout faire et que nous avons le droit de poser des limites que ce soit aux autres ou à nous-même.
Nous pourrons avoir envie de repenser notre rapport au temps. Parce qu’ils nous retirent en partie la possibilité de nous projeter, les événements nous invitent à vivre dans le présent et à nous en satisfaire. Or nous profitons rarement du présent, tout préoccupés que nous sommes par ce qui viendra après ou à quel point c’était mieux avant… Pour certains, la période nous aura aussi permis d’arrêter de courir après le temps, de ralentir, de retrouver des bonheurs simples et de découvrir le plaisir de goûter aux choses plutôt que de les engloutir à toute vitesse. Pas sûre que nous ayons envie de nous en passer après…
Nous pourrons aussi découvrir que nous avons des raisons d’être reconnaissant et que la gratitude fait du bien au moral. Comme souvent, c’est lorsque l’on perd un droit ou une possibilité que l’on se rend compte de sa valeur. Beaucoup de choses que nous prenions pour acquises nous semblent d’autant plus précieuses aujourd’hui, qu’il s’agisse d’un bout d’extérieur, d’une famille en bonne santé ou de la liberté de nous déplacer… Même si les temps sont durs, en apprenant à apprécier ce que nous avons, nous nous mettons dans un état d’esprit positif ce qui nous permet d’être plus confiant et plus optimiste.
Nous rappeler que nous avons, en nous, de nombreuses ressources
L’humain tend à être résilient, nous l’entendons partout. Mais qu’est-ce que ça veut dire “être résilient”? La résilience est un terme emprunté à la physique qui désigne la résistance d’un matériau au choc. C’est donc notre capacité à résister aux traumatismes et à nous construire en dépit des circonstances. Face à des épreuves quelles qu’elles soient, nous déclenchons des mécanismes qui vont nous amener d’abord à résister, puis à nous adapter en apprenant à “vivre avec” et, enfin, à rebondir, voir à transformer ce que nous avons vécu pour en sortir grandis.
Nous avons donc la capacité de surmonter les épreuves et de résister à l’adversité. Nous avons la capacité d’évoluer et d’apprendre. Ce sont des choses dont il est essentiel de se rappeler surtout lorsque nous nous sentons dépassés. Et quand nous l’oublions, peut-être pouvons-nous nous pencher sur ce que nous avons déjà accompli jusqu’ici…
Nous nous sommes adaptés. Difficilement, douloureusement parfois, mais nous l’avons fait. Nous avons appris à faire classe à la maison, revu nos rythmes de vie, pensé à ceux que nous oublions parfois au quotidien, appris à connaitre nos voisins, développé de nouvelles formes de solidarités… Nous nous sommes rendus compte que la séparation physique ne rompait pas les liens mais qu’elle pouvait au contraire les resserrer et nous avons inventé de nouveaux moyens d’être en relation, d’être ensemble malgré l’éloignement… Bref, nous avons mis à profit nos ressources pour traverser ce moment du mieux que nous pouvions et, même si ça n’a pas été sans douleur, nous avons réussi, réussissons et réussirons encore.
La question aujourd’hui, c’est de savoir ce que nous ferons de ce que nous aurons appris une fois que nous en aurons terminé. Comme souvent, il s’agit d’un choix. Nous pourrons choisir d’oublier tout ça au plus vite en reprenant comme si de rien était ou nous pourrons décider d’utiliser ce que nous a enseigné cette crise, décider de nous servir de notre faculté à nous réinventer, décider d’être dans l’action et de faire évoluer des choses dans nos vie là où nous en ressentons le besoin.
Pour ma part, je me dis que ce serait vraiment dommage d’avoir enduré tout ça pour rien… Ce temps m’a permis d’identifier des choses qui, dans ma vie, avaient plus d’importance que je ne le croyais et d’autres qui en avaient moins et qui prenaient tout de même beaucoup de place (mais ça c’était avant)! En me confrontant à mes émotions, j’ai aussi pu mieux identifier mes besoins et mes limites dans certaines situations. Il y a beaucoup d’autres choses encore, de choses que j’ai besoin de digérer et d’autres sur lesquelles je dois continuer à travailler, des choses qui me permettront, j’en suis certaine, de grandir un peu plus et de vivre encore mieux “après”….
Prenons soin de nous (ça aussi ce serait pas mal de le garder pour “après”…).
A venir l’épisode 4 : Déconfinement, comment gérer l’après?
Retrouvez les premiers épisodes de la série “Cohabiter avec soi-même au temps du confinement”
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