En toute logique, nous devrions nous réjouir du déconfinement. Même s’il est partiel et imparfait, et si l’ombre du virus planera pour longtemps sur notre vie quotidienne, nous allons enfin pouvoir revoir nos proches (enfin ceux qui sont géographiquement proches parce que pour les autres…), sortir sans autorisation dérogatoire, aller marcher où bon nous semble, retourner travailler…
Pourtant il semble que, pour beaucoup d’entre nous, cela ne soit pas si simple… Le déconfinement génère un mélange d’émotions allant du bonheur de la liberté retrouvée, en passant par le découragement face à l’organisation matérielle, l’inquiétude devant les changements auxquels la crise a et va encore donner naissance et l’angoisse face à la maladie. Encore une fois, la période nous plonge dans l’incertitude, dans un inconnu insécurisant, générant des sentiments aussi nombreux et variés qu’il y a d’histoires de vie.

Mais pourquoi donc le déconfinement est-il angoissant? Et surtout est-ce normal?

Pour des raisons liées au contexte général d’abord. Le virus est invisible, impalpable et nombre de ses porteurs sont sains… Quoi de mieux pour provoquer l’angoisse du risque sanitaire et la méfiance! Si l’on ajoute à cela une rhétorique anxiogène du type “il y aura un avant et un après” ou “l’écroulement économique”, et une société où le port généralisé du masque nous donne la sensation d’un danger omniprésent, il n’est pas étonnant que nous n’en menions pas large…

Pour des raisons pratiques ensuite. Comment organiser la distanciation sociale dans les transports, les écoles, les entreprises? La question de remettre les enfants ou non à l’école, par exemple, semble un choix impossible pour beaucoup de parents partagés entre la nécessité et le risque, entre l’épuisement et la culpabilité.

Mais aussi pour des raisons plus personnelles et psychologiques. Nous avions fini par nous habituer à la situation, par nous adapter tant bien que mal, or le déconfinement représente un nouveau changement. Si le monde d’avant ne sera pas totalement oublié, nous devrons nous adapter à de nouveaux codes, notamment en terme de comportement, pour un temps que nous ne mesurons pas. Il va nous falloir composer avec l’incertitude que représente un “monde d’après” dont nous n’avons aucune expérience. Il va aussi nous falloir faire avec ce nouveau saut dans l’inconnu, inconnu dont nous avons vu qu’il engendre toujours plus d’insécurité qu’une situation familière, même difficile.

C’est aussi la fin d’une situation exceptionnelle, d’une expérience collective historique sur le plan mondial. Cette période a fait naitre beaucoup de peur et d’angoisse mais aussi un sentiment d’appartenance, de partage et l’émergence de nouvelles solidarités. Nous avons vécu un moment d’exception qui a pu produire, outre les sentiments évoqués plus haut, une forme d’excitation. Quand nous avons eu le sentiment de vivre l’histoire ensemble, retourner à une vie “normale” forcément plus “quelconque” et au chacun pour soi peut s’avérer déprimant.

Sortir du confinement c’est également, pour certains d’entre nous, sortir d’une bulle protectrice, d’un temps suspendu, pour être de nouveau confrontés à une réalité que nous n’avons pas nécessairement envie d’affronter. Nous pouvons aussi avoir le sentiment de devoir reprendre une vie qui nous parait obsolète. Nous allons pouvoir retourner à notre vie soit, mais quelle vie? Allons-nous vraiment retrouver notre vie d’”avant”? Et surtout en avons-nous envie? Pour ceux à qui le confinement a valu un arrêt total ou partiel du travail, la vie confinée s’est construite en dehors du rythme effréné qui était le nôtre. Pour beaucoup, ce ralentissement est apparu comme bienvenu. Après l’avoir craint, nous nous sommes mis à l’apprécier et à avoir envie de conserver ce mode de vie plus équilibré pour “après”. Il parait donc normal d’être angoissé à l’idée de retrouver, dès la sortie, un rythme auquel nous ne sommes plus habitués. Un rythme qui ne nous convient peut-être plus mais que la pression extérieure nous poussera sans doute à reprendre. Même constat pour les environnements de travail. Maintenant que nous avons expérimenté le travail à la maison, le retour dans les transports en commun et les bureaux bruyants n’ira pas forcément de soi pour certains…

La question se pose aussi du changement dans nos relations sociales. Pourrons-nous à nouveau un jour nous serrer la main, nous faire la bise, nous prendre dans les bras? Les rituels sociaux pourront devenir une source de stress. Que ce soit par peur d’attraper ou de transmettre la maladie ou par embarras devant l’attitude à adopter face à notre entourage notamment dans les endroits où le fait de se toucher est culturel. Comment allons-nous réagir? Serons-nous capable de dire non à certaines sollicitations, de poser nos limites, malgré l’éventualité d’une réaction négative?

 

Nous venons de le voir, il y a de nombreuses raisons pour lesquelles le déconfinement est susceptible d’être une source d’angoisse, être inquiet est donc légitime et normale. Du coup comment pourrions-nous essayer de vivre ce moment le plus sereinement possible? Que pourrions-nous mettre en place pour éviter que nos angoisses deviennent handicapantes et nous empêchent de faire les meilleurs choix pour cet “après” qui approche à grands pas? Comme d’habitude, il n’existe pas de liste de solutions toutes faites applicables en l’état. Les solutions viennent de nous. En cherchant ce qui nous convient le mieux, nous reprenons du pouvoir sur notre vie et nous prenons conscience de nos ressources dont la première, notre capacité de résistance et d’adaptation. Voici les miennes, peut-être y trouverez-vous des pistes pour vous-même…

 

Prendre son temps, faire les choses petit à petit.

Nous l’avons vu avec le confinement, un changement brutal, parce qu’il est synonyme d’incertitude, est presque toujours source d’angoisse. Afin de limiter l’impact du déconfinement sur notre psychisme, opter pour un retour progressif à la normale semble donc être la meilleure stratégie. Bien entendu, après deux mois d’enfermement, nous aurons la tentation de nous ruer sur les rassemblements en famille ou entre amis, de multiplier les interactions sociales et de surcharger nos agendas et il pourra même nous sembler difficile de refuser certaines sollicitations. Mais, afin de nous préserver, peut-être pourrions-nous décider d’apprivoiser doucement cette période. En continuant à garder du temps pour nous par exemple, en privilégiant les rencontres en petit comité où nous pourrons prendre le temps de partager des moments de qualité avec les personnes que nous n’avons pas vu depuis longtemps ou en conservant, autant que faire se peut, certaines des routines que nous avons mises en place pendant le confinement. La routine, parce qu’elle est prévisible, tend à réduire l’incertitude et s’avère être une bonne alliée pour se prémunir contre l’angoisse…

 

Changer nos lunettes

Non pas celles avec lesquelles nous lisons le soir mais celles que nous portons pour regarder le monde. Nous l’avons vu dans l’épisode 2, nos émotions teintent la manière dont nous saisissons la réalité. Or nous pouvons choisir de changer de grille de lecture. Nous pouvons par exemple choisir de voir le positif dans les situations. Certes je suis restée enfermée mais j’ai pu lire des livres/regarder des films/ranger ma maison/me reposer… Oui j’en ai plus que marre de vivre 24 heures sur 24 avec mes enfants mais j’ai eu l’incroyable opportunité les voir évoluer et grandir pendant deux mois entiers. Il ne s’agit pas, évidemment, d’échanger un filtre gris contre un rose bonbon tout aussi éloigné de la réalité mais justement de l’appréhender dans sa globalité à travers ses aspects négatifs mais aussi positifs.
Il semblerait que notre cerveau ait plus de facilité à repérer le négatif que le positif, l’exercice n’est donc pas naturel. Pourtant, plus on s’y emploie plus cela vient facilement. Peut-être notre cerveau manque-t-il simplement d’entrainement…

 

Continuer (ou commencer) à prendre soin de soi

Bon là, si vous avez lu les épisodes précédents, vous allez trouver que je me répète un peu. Certes. Mais s’il y a bien une chose que j’aimerais que nous gardions de ce confinement, c’est ça. Nous ne pouvons pas être efficace, être à 100% de nos capacités, aider les autres, prendre de bonnes décisions etc. etc. si nous ne prenons pas soin de nous et de notre bien-être. Il s’agit donc d’une habitude à garder et à cultiver précieusement.
Et du coup ça vaut le coup de le répéter. Et puis, pour beaucoup d’entre nous, cela ne vient pas exactement naturellement et demande de l’entrainement… Prendre soin de nous donc et, pour commencer, prendre l’habitude de nous poser des questions de ce genre là : De quoi ai-je besoin pour aller bien? Qu’est-ce qui est bon pour moi? Et d’en écouter les réponses à la fois mentales et corporelles. Là où il nous est parfois difficile d’obtenir une réponse claire avec notre mental, le corps est un excellent indicateur. Si je ne me sens pas à l’aise, si je sens une crispation, une gêne à l’idée de ce que j’ai en tête, il est probable que ce ne soit pas la meilleure des choses à faire…

 

Apprendre à dire non

Encore quelque chose qui demande de l’entraînement pour bon nombre d’entre nous! Peur de déplaire, d’être rejeté, volonté de faire plaisir… Dire non, parfois, ce n’est pas évident… Avec le déconfinement et la reprise de nos relations sociales, nous allons pourtant nous retrouver de nombreuses situations où nous allons en avoir envie voire besoin. Comment dire non à la bise ou à une poignée de mains par exemple ? A une soirée où nous pressentons qu’il y aura trop de monde pour nous?
Pour dire non, il faut d’abord se donner la permission de le faire et garder en tête que savoir poser ses limites, c’est aussi savoir se respecter. Après on apprend en s’exerçant. Le mieux est de commencer petit pour constater que nous en sommes capables et vérifier qu’aucune catastrophe naturelle, ou rupture définitive de liens, ne se produira par ce que nous aurons opposé un refus. Une fois que nous aurons passé cette première étape, nous pourrons le reproduire à plus grande échelle. Bien sûr, les réactions de notre entourage ne seront pas obligatoirement positives, surtout si nous ne leur en avons pas donner l’habitude, mais si nous voulons prendre soin de nous et avoir des relations équilibrées et épanouissantes avec les autres, se respecter soi-même est impératif.

 

Vivre dans le présent

Nous en entendons beaucoup parler aujourd’hui avec la méditation pleine conscience notamment. Si cela semble bénéfique, ça n’a pourtant rien de facile ou de naturel… En effet, notre cerveau est programmé pour anticiper l’avenir afin de prévenir les dangers. C’est ce qui nous a permis de survivre, d’évoluer et d’améliorer nos conditions de vie.
Anticiper, planifier est donc nécessaire. Ce qui pose problème c’est quand une juste anticipation, à savoir une évaluation réaliste des risques, se mue en angoisse et en inquiétude et que nous sommes systématiquement dans l’attente du pire. Dans ce cas, nous avons tendance à nous projeter en boucle des films négatifs qui entretiennent eux-mêmes notre anxiété. C’est un cercle vicieux.
En quoi est-ce problématique? Outre le sentiment de malaise et d’inconfort que cela procure, si nous sommes constamment dans l’anticipation négative, nous sommes habités par la peur. C’est elle qui prend le contrôle de notre vie, nous empêchant d’écouter et d’agir selon nos vrais besoins. La peur décide à notre place et elle est rarement bonne conseillère…
En quoi vivre dans le présent peut nous aider? Vivre en regrettant le passé ou en appréhendant le futur, c’est vivre dans une illusion. Le présent est la seule réalité à notre portée et c’est, de fait, la seule chose sur laquelle nous ayons un pouvoir d’action. Vivre dans le présent, ce n’est pas oublier son passé, nous avons besoin de ses leçons, ou ne rien planifier pour son futur, c’est être en contact consciemment avec ce qui se passe à la fois en nous et hors de nous au moment où nous le vivons. Si nous sommes vraiment présents à ce qui nous arrive, cela nous permet de mieux profiter du moment et donc de l’apprécier pleinement sans angoisse ou mélancolie. Cela nous permet aussi de nous connecter à nos besoins réels non influencés pas les émotions et de prendre des décisions en conséquence. Encore une fois, nous pouvons compter sur notre corps pour nous aider. Nos sens sont notre meilleur lien avec la réalité, nous concentrer sur nos perceptions lorsque nous sentons que nos pensées dérivent peut nous aider à revenir dans le présent.

 

Même si le déconfinement nous inquiète, si nous ne savons rien de ce que sera l’après et si nous n’avons aucun modèle pour nous servir de référence et peu de certitudes auxquelles nous raccrocher, nous pouvons nous servir de ce que nous avons appris pour traverser cette nouvelle étape en nous souvenant toujours que nous avons en nous toutes les ressources pour faire face.

 

Cet épisode signe la fin de la série “Cohabiter avec soi-même au temps du confinement”. J’espère qu’elle vous a plu et que vous avez pu y trouver des ressources pour vous aider à traverser ce moment. A moi en tout cas, elle m’a beaucoup apporté… Merci!

Prenons soin de nous (Oui encore. On ne le répètera jamais assez…), et n’oublions pas que, dans les moments difficiles, savoir demander de l’aide et se faire accompagner n’est pas un aveu de faiblesse mais, au contraire, une preuve de force et le premier pas vers l’apaisement.

 

Retrouvez les premiers épisodes de la série ici : “Cohabiter avec soi-même au temps du confinement”